Skylight 5+++/5

David Hare, traduction et adaptation de Dominique Hollier, mise en scène de Claudia Stavisky, avec Marie Vialle, Patrick Catalifo et Sacha Ribeiro

 

 

 Magistral!

 

 Ce spectacle est tellement réussi que c'est le spectacle à aller voir ce mois-ci.

 

  Dominique Hollier a traduit et adapté la pièce de David Hare. C'est un travail remarquable de finesse, allant droit au but, donnant un texte à la fois ciselé et percutant. Je lui tire mon chapeau.

 

 Les personnages sont très fouillés, ils ont une richesse psychologique extraordinaire et les comédiens, en particulier Marie Vialle dans le rôle de Kyra, d'une justesse incroyable à chaque seconde de bout en bout, sont plus qu'à la hauteur.

 

 La mise en scène brillante de Claudia Stavisky y est certainement pour quelque chose. Les spectateurs sont tenus en haleine du début à la fin. Les comédiens occupent tout l'espace et nous les suivons avec intérêt dans les méandres de leurs pensées. Dieu seul sait qu'il faut avoir de la ressource pour mettre en scène un tel huis clos où l'action principale réside dans les joutes verbales. J'ai été impressionné par cette mise en scène où chaque détail a son importance. C'est véritablement un travail d'orfèvre et on ne peut que s'incliner devant tant de brio.

 

 Et que dire du décor sinon qu'il sert à merveille la mise en scène?

 

 

 Patrick Catalifo, dans le rôle de Tom, est formidable et nous montre presque toute l'étendue de sa palette d'acteur. Ses répliques font souvent mouche ou au contraire trahissent ses préjugés de classe, suscitant le rire. Car il s'agit entre autres d'une satire sociale mettant aux prises Tom, l'homme d'affaires assez complaisant, avec Kyra, qui a fait partie de la vie de Tom, et qui est maintenant professeur dans un quartier défavorisé. 

 

 Cette pièce m'a fait penser à la chanson de Graeme Allwright, Petites boîtes. Celle-ci illustrant bien la vision qu'on peut avoir du personnage de Tom par moments. Il peut en effet passer pour la caricature des gens qui ont réussi et qui sont interchangeables...Cependant, par petites touches, le dramaturge nous rend ce personnage sympathique, ce qui n'est pas aisé a priori.

 

  Alice, son épouse,  porte bien son prénom, car son attitude montre son amour de la vérité. Et une des phrases d'Alice, rapportée par Tom, est un des moments les plus émouvants de la pièce.

 

 Le duo Marie Vialle-Patrick Catalifo fonctionne admirablement, chacun poussant parfois l'autre dans ses derniers retranchements, et mettant à jour ses contradictions.

 

 Edward, le fils de Tom, interprété avec une grande sensibilité par Sacha Ribeiro, se cherche encore, il n'a que dix-huit ans et beaucoup de questions le taraudent. 

 

 Sa relation compliquée avec son père est parfois au centre des échanges de Kyra et Tom. La scène d'exposition est à cet égard remarquable et pose comme il se doit plusieurs des enjeux de la pièce.

 

 Tout respire l'authenticité dès le premier acte, quand Edward revoit Kyra, qui était à ses côtés dans son enfance et qui a disparu de sa vie du jour au lendemain. Les non-dits créent une belle tension dramatique.

 

 Mais Skylight est avant tout une tragédie, où deux droits s'affrontent. Kyra et Tom ayant chacun des arguments à faire valoir pour défendre les choix qu'ils ont faits au cours de leur vie et tout n'est pas aussi simple qu'il y paraît au premier abord.

 

 Les ressorts psychologiques sont primordiaux et la question centrale revient pour moi à celle exposée dans Peer Gynt d'Henrik Ibsen, traduit par François Regnault: Ai-je suivi le précepte Sois toi-même dans ma vie ou bien ai-je au contraire été opportuniste et vécu selon le précepte Suffis-toi toi-même?

 

  Un des moments clés de la pièce est d'ailleurs celui où Tom oppose à Kyra sa fausse bonne conscience, qui réside notamment dans une réversibilité, à savoir qu'elle se laisse plus ou moins consciemment la possibilité de revenir en arrière quand bon lui semble, elle se laisse la possibilité de "reprendre ses billes". Kyra semble refuser de faire un choix qui l'engage véritablement, ce qui est contraire au discours qu'elle professe.

 

 Il s'agit donc d'une pièce très profonde et très drôle, servie par deux comédiens au sommet de leur art et un autre dont la prestation est tout à fait bluffante, eu égard à son jeune âge.

 

 

 

Publié le 19 mai 2022, à 11h00.

Les passages concernant Alice et Petites boîtes ont été publiés le 22 mai.

Modifié le 31 mai 2022 car son contenu n'était plus d'actualité.

 

 

 

 

Au Théâtre du Rond-Point.