Rossignol à la langue pourrie 5/5

Poèmes de Jehan-Rictus
Mise en scène : Guy-Pierre Couleau
Avec Agathe Quelquejay
Musique : Hervé Devolder
Lumière : Laurent Shneegans

 

 

 

 

 

 Agathe Quelquejay est éblouissante : elle vit les situations qu'elle dit avec tant d'émotions, avec tout son cœur et toute son âme. Elle semble jouer sa vie sur scène, les mots de Jehan-Rictus semblent être les siens. 

 

 On est transporté par son incarnation de chaque personnage. C'est comme si on était partie intégrante de l'histoire tant tout sonne juste. On voit tout ce qui est évoqué avec une si grande conviction, une si grande émotion, une émotion à fleur de peau qui nous remue le cœur.

 

 L'émotion passe par le corps et en particulier par les yeux bleus souvent mouillants de l'interprète qui passe en un instant d'un personnage à l'autre avec une facilité que j'ai rarement vue.

 

 Elle porte la parole des pauvres avec une authenticité déroutante et déchirante.

 

 Son timbre est pour beaucoup dans la réussite de ce spectacle : on est touché au tréfonds de l'âme et on est désespéré de ne pouvoir soulager le malheur de nos semblables qui vivent dans la misère. On n'est plus le même après la représentation. Le cœur me bat encore très fort au moment où j'écris ces lignes.

 

 C'est un spectacle admirable, mis en scène de façon magistrale par Guy-Pierre Couleau, qui a su mettre en valeur cette interprète qui apparaît touchée par la grâce.

 

 Un moment rare, intense, avec les mots du peuple. Sans artifices. Simple et émouvant. Un spectacle tendre, étonnant où les intermèdes musicaux permettent de belles transitions et annoncent la teneur du poème qui va suivre.

 

 La détresse de la mère qui a perdu son petit dans 《Jasante de la Vieille》est un moment d'une puissance émotionnelle extraordinaire. La performance est exceptionnelle et on n'imagine pas quelqu'un d'autre dire ces textes.

 

 La langue est belle, on savoure des expressions auxquelles on n'est pas habitué et dont les sonorités séduisent.

 

 Des thèmes essentiels sont abordés dans les six poèmes choisis : le désir, la fraternité, l'indifférence, la violence, la jalousie, l'amour, l'injustice...

 

 Ces poèmes m'ont rappelé la phrase de Jean-Jacques Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes : 《Avec toute leur morale, les hommes n'eussent jamais été que des monstres si la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison》

 

 Un spectacle poétique qui fait voyager et réfléchir à la fois : une performance qui tient de l'exploit.

 

 

 

Publié le 19 février 2024

Au théâtre de l'Essaion jusqu'au 18 mars

Photo : Laurent Shneegans