La Culotte au théâtre Clavel 5/5

Pièce de Jean Anouilh
Mise en scène : Arnaud Allain
Avec Annaig Durand, Adina Lagarde, Florian Nibeaudeau, François Pilot-Cousin, Mathilde Salmon, Sacha Uzan et Antoine Waroude.
Costumes : Catherine Lainard
Scénographie : Thomas Ollivier
Musique : Marc Dannaud

 

 

 Un véritable tour de force ! 

 

 Arnaud Allain réussit à montrer tous les aspects de la pièce d'Anouilh en seulement une heure vingt alors qu'elle dure théoriquement plus de deux heures, et cela en sacrifiant un personnage secondaire peu marquant uniquement.

 

Le metteur en scène restitue ainsi l'essence de l'œuvre et en particulier la satire sociale.

 

 On est pris à chaque instant par l'intrigue : tout se tient, Arnaud Allain imprime sa patte en respectant l'esprit d'Anouilh, s'autorisant même à choisir la fin alternative tellement plus savoureuse que celle plus traditionnelle,  plus attendue et surtout moins baroque jouée habituellement.

 

 Le chant choral révolutionnaire liminaire créé pour cette adaptation est jubilatoire. La révolte des femmes, trop longtemps opprimées, décidées à faire valoir leurs droits, pose d'emblée l'enjeu de la pièce et tient habilement lieu de scène d'exposition.

 

 La mise en scène est particulièrement soignée, les trouvailles concernant les réactions indignées de certains personnages sont bien vues et contribuent au rythme soutenu imprimé par une distribution de grand talent. La scénographie travaillée, les effets oratoires, participent de la réussite de la représentation.

 

 L'humour caustique, grinçant, qui tient aussi de la farce, est bien présent grâce à des interprètes habités qui font vivre leur personnage sur scène, lui donnent une épaisseur, une consistance certaine.

 

 Leur joie de jouer est manifeste : c'est une invitation à profiter du spectacle sans réserve, le public ne s'en prive pas. Les réactions de l'auditoire fusent car les comédiens sont investis, impliqués et maîtrisent leur partition à merveille.

 

 Le décor dépouillé montre un désir de servir l'auteur, d'aller à l'essentiel, en refusant l'esbroufe qui est trop souvent inhérente aux mises en scènes sophistiquées.

 

 Arnaud Allain met en valeur le propos, la dérive provenant de tout pouvoir absolu, s'attache aux nuances, en mettant aussi l'accent sur le côté comique, Monsieur Lebelluc étant, de fait, un personnage extravagant, par exemple; les traits d'esprit ainsi que les piques sont bien sentis.

 

 Néanmoins, Arnaud Allain a l'art de trouver un équilibre de bon aloi, un juste milieu si cher à Aristote, qui s'avère propice à la réflexion.

 

 Si le spectateur rit de bon cœur aux extravagances des uns et des autres, la conception intrinsèque de l'adaptation n'occulte en rien la dimension édifiante qui apparaît en filigrane dès le début de la pièce.

 

 Le spectateur s'interroge sur le bien-fondé d'un brusque retour de balancier entraînant l'avènement du matriarcat donnant lieu à des dérives aussi peu défendables que celles du système préexistant.

 

 La scène du procès de l'académicien, coupable de tous maux, selon ses détracteurs, met en évidence le danger de l'idéologie, car comme l'écrit Olivier Rolin dans le Tigre en papier : 《L'idéologie, c'est la passion du faux témoignage.》En effet, la représentante du nouvel ordre moral et ses alliés, ont à cœur de déformer les faits à telle enseigne que c'en est ridicule. 

 

 La direction d'acteur m'est apparue particulièrement remarquable, le recours au burlesque est très plaisant.

 

 On sent un bel esprit de troupe de bout en bout et l'on ne boude pas son plaisir. Les comédiens sont farceurs dans cette pièce mais ils brillent aussi : ma préférence va au personnage de La Ficelle qui est absolument irrésistible en roublard craintif et qu'incarne avec maestria Florian Nibeaudeau.

 

 On pourrait faire l'éloge de chaque comédien à des degrés divers tant ils sont doués et ont accompli un travail personnel pour trouver et défendre leur personnage.

 

 Les transitions musicales sont très habiles. Le travail sur les lumières est appréciable et crée subtilement un climat plus intime ou serein de temps à autre.

 

 Je tire mon chapeau à toute l'équipe.

 

 J'exhorte tous les amoureux du théâtre à venir voir ces artistes passionnés, qui ont eu droit à une ovation méritée le soir où j'étais présent.

 

 

 

Publié le 7 février 2024

Au théâtre Clavel, le mardi à 21h30 jusqu'au 27 février.