L'entrée en résistance 5/5

De et avec Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson et Christophe Dejours.

 

 

 Pièce très profonde et très actuelle. Une très belle qualité d'écriture et une interprétation magistrale. 

 

 J'ai été émerveillé par la mise en scène, j'ai été captivé de la première à la dernière seconde. La conception musicale, visuelle est formidable. La très belle présence des trois comédiens donne un relief particulier au propos. En plus, tous ont de très belles voix, même Alexandrine Brisson, qu'on aimerait entendre davantage tant elle est juste. Les voix contribuent grandement au plaisir du spectateur.

 

 Cette pièce invite à la réflexion. C'est une évocation très fine du monde du travail, qui broie trop souvent les êtres. Les paroles des deux protagonistes sont autant de propositions auxquelles nous sommes libres d'adhérer ou non.

 

 Les spectateurs sont véritablement acteurs car leur matière grise est sollicitée à chaque instant. Les comédiens ont mis la barre très haut en se référant à Aristote et son Éthique à Nicomaque

 

 Un des thèmes centraux est la renonciation à toute réflexion sous la pression des gestionnaires, le fait d'aller à l'encontre de ses valeurs, à savoir l'acrasie chez les plus faibles comme chez les plus forts. Ils obéissent docilement sans penser, car comme l'écrit Alain : 《Penser, c'est dire non.》

 

  Les comédiens montrent l'importance des actes, de la désobéissance mais avant tout de la résistance pour combattre un système qui détruit la nature, la culture, les êtres. Un système qui au bout du compte pousse des êtres au suicide. Le suicide étant le thème le plus important selon Albert Camus, qui écrivait : 《Je me révolte donc je suis》

 

 Les auteurs et acteurs ne sont pas dans le dogme mais dans le constat, ce sont des collecteurs de mémoire porteurs d'une parole éclairée. Ils nous invitent à conquérir si ce n'est déjà fait une liberté confisquée parfois mais qu'on ne peut obtenir sans effort, une "difficile liberté" selon les termes d'Emmanuel Levinas où on considère l'autre car il a un visage, il nous vise, comme il l'écrit. 

 

 Des enclaves de résistance contre la souffrance au travail existent partout en France, nous apprend le professeur et comédien Christophe Dejours. Il s'avère que c'est un phénomène unique en Europe où pourtant les mêmes souffrances conduisant parfois au suicide existent bel et bien en dehors de nos frontières.

 

 Ce spectacle fait appel à notre humanité la plus profonde et m'a évoqué la chanson d'Anne Sylvestre, Les gens qui doutent quand elle rend hommage aux personnes qui font le bien et 《qui sont assez poires/ Pour que jamais l'histoire leur rende les honneurs》. Sénèque écrit d'ailleurs que 《la récompense d'une bonne action, c'est de l'avoir faite.》

 

 Cependant, les comédiens insistent sur l'importance d'agir collectivement, un peu comme dans Sans la nommer de Georges Moustaki pour essayer d'enrayer la machine, agir de son côté n'étant pas suffisant comme le montre la fin du Meilleur des Mondes d' Aldous Huxley, où le conditionnement est si fort.

 

 Certains diront que c'est un spectacle engagé mais qui ne l'est pas ? Je reprends à mon compte la phrase d'Honoré de Balzac : Ceux qui affirment ne pas être engagés le sont, ils sont engagés dans le silence, (et ils cautionnent le système en place.)

 

 Cette pièce met aussi l'accent sur l'importance de la personne face aux dérives du capitalisme et m'a évoqué la chanson de Graeme Allwright, Petites boîtes

 

 Après le spectacle, j'ai aussi pensé à Jacques Prévert et à son poème Aux champs...

 

 Quoiqu'il en soit, c'est un spectacle formidable, celui qui a fait le plus d'écho en moi depuis longtemps et il est porté par des cœurs purs au sens où le chantait le regretté Jean-Roger Caussimon.

 

 Le spectacle est toujours suivi d'un débat, une belle initiative.

 

 

 

Publié le 5 janvier 2022.

À l'Artistic Théâtre jusu'au 22 janvier, -50% jusqu'au 8 janvier.

 

Photo : David Season